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Résistance aux antibiotiques, le temps presse


Des gènes de résistance acquis par les bactéries rendent inefficaces de plus en plus d’antibiotiques. Face à cette menace, les réponses tardent à venir.

« Le plus grand fléau du XXIe siècle. » L’Organisation mondiale de la santé tire la sonnette d’alarme. À l’origine de 700 000 décès par an dans le monde, les bactéries porteuses de gènes de résistance aux antibiotiques pourraient causer dès 2050 la mort de 10 millions de personnes par an, devenant plus meurtrière que le cancer selon un rapport britannique. Des infections mineures peuvent désormais se transformer en septicémies et des actes médicaux être abandonnés en raison de risques bactériens trop importants. Alexander Fleming, qui a découvert la pénicilline, avait prédit cette résistance dès 1945. Mais la perspective d’un scénario catastrophe pousse les acteurs à se mobiliser.

En novembre 2016, la France a dévoilé un plan d’action interministériel de cinq ans doté de 300 millions d’euros, avec, cette année, une campagne nationale pour un bon usage des antibiotiques. Car si les bactéries développent naturellement des gènes de résistance, de nombreux facteurs humains ont amplifié le phénomène [lire ci-contre]. En premier lieu, notre surconsommation d’antibiotiques, qui a créé une sélection des bactéries résistantes. La réduire peut inverser la tendance. « La résistance a un coût biologique pour la bactérie, c’est une fonction qui la rend moins compétitive, explique Patrice Courvalin, médecin à l’Institut Pasteur. En l’absence d’antibiotique, la bactérie va chercher à se débarrasser de ce gène ou à le mettre en sommeil. » Mais les changements d’habitudes ne suffiront pas. « La résistance aux antibiotiques reste un phénomène irréversible, prévient Patrice Courvalin. Si les bactéries peuvent perdre ces gènes, ce n’est jamais à 100 %. Dès qu’un antibiotique réapparaît, celles qui ont gardé le gène peuvent le transférer à leurs voisines. »

Découpler le prix et les volumes

L’innovation est indispensable. Mais aucune nouvelle classe d’antibiotiques n’a été développée depuis trente ans. Les antibiothérapies étant courtes et bon marché, les grands de la pharma ont délaissé le domaine. Devant l’urgence, quelques laboratoires ont récemment commercialisé de nouveaux antibiotiques, dont AstraZeneca avec Zavicefta. Ce médicament combine une bêtalactamine ancienne avec un inhibiteur de résistances aux bêtalactamines, la catégorie d’antibiotiques la plus répandue. Un moyen de répondre à l’urgence sans avoir à développer une nouvelle molécule, ce qui prend huit à dix ans. Mais cette solution reste limitée. Les bactéries résistantes à plusieurs antibiotiques, dites multirésistantes, se multiplient. Aux États-Unis, une première bactérie résistante à tous les antibiotiques, y compris à la colistine utilisée en dernier recours, a été identifiée pour la première fois en mai 2016. En septembre dernier, une femme originaire du Nevada, de retour d’un long séjour en Inde, est décédée à la suite d’un choc sceptique, alors que les médecins avaient essayé de la traiter à l’aide de 26 antibiotiques différents !

Pour pallier le faible retour sur investissement, que pourrait accentuer l’objectif de réduction de la consommation d’antibiotiques, les industriels réclament des incitations. En vue d’élaborer de tels mécanismes, le Conseil stratégique de filière s’est doté d’un groupe de travail. « Nous réfléchissons à un package dont pourraient bénéficier les produits innovants dans la lutte contre l’antibiorésistance », explique le professeur Christian Brun-Buisson, qui copilote ce groupe. L’offre pourrait proposer un accès plus rapide à l’évaluation des produits et l’exonération de charges liées à la mise sur le marché et une extension des brevets. Autre option sur la table : l’achat par les pouvoirs publics d’un certain nombre de boîtes à l’avance, afin de garantir un minimum de volumes écoulés. Avant d’arbitrer, la France attend les conclusions du projet Drive AB, chargé du même travail de réflexion au sein du programme européen New drugs 4 bad bugs, lancé en 2012 pour stimuler la lutte contre les bactéries résistantes. Drive AB étudie également la création d’un fonds mondial sur l’antibiorésistance pour verser une prime de 1 à 2 milliards d’euros à un industriel dont l’innovation répondrait à un besoin non couvert. « Quel que soit le mécanisme, l’objectif est de découpler le prix et les volumes afin d’assurer la mise à disposition des produits à des prix raisonnables », explique Christian Brun-Buisson. Les pouvoirs publics veulent éviter la dérive tarifaire que connaissent, par exemple, les traitements des maladies orphelines. Certains labos commencent à réinvestir le domaine. Roche a ainsi deux nouvelles molécules en phase 1 d’essais cliniques.

Un problème de santé publique

L’arrivée de nouvelles classes d’antibiotiques sera-t-elle suffisante pour remporter la course contre l’antibiorésistance ? « L’expérience montre que les bactéries s’adaptent très vite, souligne Christian Brun-Buisson. Plusieurs biotechs développent des adjuvants qui modifient l’action des antibiotiques ou qui ciblent les résistances pour les détruire. Plus que l’arrivée de nouveaux antibiotiques, c’est leur combinaison avec des approches innovantes comme celles-ci qui est prometteuse. » La biotech Eligo Bioscience utilise par exemple les ciseaux moléculaires CRISPR pour couper les gènes de résistance et de virulence des bactéries [lire ci-contre]. Da Volterra s’intéresse à notre flore intestinale, devenue un réservoir à résistance avec les résidus d’antibiotiques qui l’attaquent. Si ces bactéries de notre corps sont inoffensives, elles peuvent transmettre leur gène de résistance aux bactéries pathogènes. La société française a donc développé un produit innovant, DAV132, administré par voie orale en même temps que les traitements antibiotiques pour protéger notre microbiote intestinal.

Ce produit permet aussi de prévenir les infections à Clostridium difficile, une diarrhée nosocomiale associée à la prise d’antibiotiques et potentiellement mortelle. Comme le bénéfice médical est alors direct pour les patients, Da Volterra a ciblé cette voie d’accès au marché. Mais dans les conditions actuelles, le commercialiser comme seul traitement de lutte contre les bactéries résistantes serait difficile. « Pour mettre un prix sur notre produit comme préventif de l’antibiorésistance, il faudrait mettre un prix sur les conséquences de la dissémination de l’antibiorésistance, souligne Florence Séjourné, la directrice de Da Volterra. Selon les critères actuels, il est difficile d’intégrer dans le bénéfice du produit l’intérêt sociétal de la prévention de résistance. »

Garantir l’accès au marché à de telles innovations fait partie des ambitions du Conseil stratégique de filière, qui souhaite que le critère d’évaluation sur l’intérêt de santé publique, déjà existant, devienne prépondérant dans l’évaluation des produits de lutte contre l’antibiorésistance. Au-delà des innovations, la lutte contre les bactéries résistantes nécessite de repenser l’économie de la santé et d’avoir une vision mondialisée du phénomène. Parce que les bactéries circulent, lutter dans nos seuls pays ne peut être efficace.


La France et les antibiotiques

- 130,6 millions de boîtes d’antibiotiques ont été vendues en 2015, dont 90 % en pharmacie

- Les bactéries résistantes touchent près de 160 000 patients par an

- 13 000 personnes en meurent directement

(Sources : ANSM, rapport Jean Carlet)


Les principales causes humaines de l’antibiorésistance

L’utilisation excessive et inappropriée des antibiotiques Notre recours massif aux antibiotiques, souvent prescrits sans que l’origine virale ou bactérienne ne soit vérifiée, a généré une pression sur les bactéries, amplifiant leurs mécanismes de défense et une sélection des bactéries résistantes. La mauvaise utilisation des antibiotiques, avec des traitements abandonnés avant la fin par les patients ou mal dosés, est également mise en cause.

La surconsommation dans l’élevage et la pisciculture D’après l’Organisation mondiale de la santé, au moins 50 % des antibiotiques produits dans le monde sont destinés aux animaux. Aux États-Unis, ils sont utilisés comme facteurs de croissance, une pratique interdite en Europe depuis dix ans. Les bactéries résistantes issues des élevages peuvent se transmettre à l’homme par la contamination de l’eau, les déjections et à travers la chaîne alimentaire.

Le manque d’hygiène La propagation des bactéries résistantes est favorisée par le manque d’hygiène. À l’inverse des bonnes pratiques, comme l’introduction des solutions hydro-alcooliques pour le lavage des mains dans les hôpitaux qui a entraîné une forte résistance des staphylocoques dorés résistants à la pénicilline.

Eligo Bioscience cisaille les gènes de résistance

Dans la lutte contre l’antibiorésistance, l’approche de la biotech Eligo Bioscience est l’une des plus prometteuses. « Notre technologie utilise les ciseaux moléculaires CRISPR pour couper les gènes de résistance ou de virulence des bactéries », résume David Bikard, l’un des quatre fondateurs de cette start-up, créée en 2014 et hébergée à l’Institut Pasteur. Pour que cette technologie atteigne sa cible, Eligo Bioscience vectorise les phages, ces virus n’infectant que des bactéries. Ces futurs médicaments, les eligobiotiques, pourront être utilisés à titre préventif : sur une personne de retour d’Inde et d’Asie du Sud-Est par exemple – beaucoup de visiteurs reviennent contaminés par une bactérie résistante –, ou sur un patient avant une opération, quand le risque d’infection est fort. Couplés à un antibiotique, ils permettront de traiter les infections résistantes. Mais il faudra attendre : actuellement testés sur les souris, les eligobiotiques ne devraient pas arriver sur le marché avant cinq à huit ans.


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